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LVI.

Celuy qui voit comment je me pais de regretz,
De desseins mal astis, d’une esperance vaine,
D’un trop tard repentir, d’une peur trop soudaine,
Les sanglotz estouffez qui se suivent de prés,

Celuy qui voit comment j’essaye tout expres
A me noyer de pleurs au gré d’une inhumaine,
Des fouspirs de mon flanc revomissant ma peine,
N’ayant tant de cheveux dessus moy aue de trebz,

Celuy là qui me voit, ennemy de mon aise,
Brusler opiniastre en cette mesme braise
Qu’un amour trop constant a voulu atizer,

Me dit qu’il n’y a point de maistresse si belle
Qui puisse meriter qu’on pleure tant pour elle,
Ou bien qu’il n’y a point de vers pour la priser.


LVII.

Chacun souffre son mal : tu ne sens pas ma peine,
Mon coeur second, helas ! tu ne sens pas mes maux,
Je me veux mal d'autant que j’ayme mes travaux,
Ainsi de mon amour je conçoy’ une haine.

Tu touches bien mon poulx hasté de mon haleine,
Tu sens bien ma chaleur, ma fiebvre, mes travaux,
Tu vois mon œil tourné, tu vois bien les assaulx
Qui sont plus que ma vie estre ma mort certaine ;

Mais las ! si tu pouvois souffrir, comme je fays,
Ce de quoy je me plein’, je te lairrois le fais
De porter seulement le frizon d’une œillade :

Encor’ t’est-il advis que pour rien je me deus ?
Mon mal est assez grand pour en empescher deux,
Mais le sain oublieux est inique au malade.