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XX.

Nous ferons, ma Diane, un jardin fructueux :
J’en seray laboureur, vous dame & gardiennes.
Vous donnerez le champ, je fourniray de peine,
Afin que son honneur soit commun à nous deux.

Les fleurs dont ce parterre esjouira nos yeux
Seront verds florissants, leurs subjects sont la graine,
Mes yeux l’arroseront & seront sa fontaine,
Il aura pour zephirs mes souspirs amoureux ;

Vous y verrez niellés mille beautez escloses,
Soucis, œillets & lys, sans espines les roses,
Encolie & pensee, & pourrez y choisir

Fruicts succrez de duree, aprés des fleurs d’attente,
Et puis nous partirons à vostre choix la rente :
A moy toute la peine, & à vous le plaisir.


XXI.

Vous qui avez escrit qu’il n’y a plus en terre
De Nymphe porte-fleche errante par les bois,
De Diane chassante ainsi comme autres fois
Elle avoit fait aux cerfs une ordinaire guerre,

Voyez qui tient l’espieu ou eschauffe l’enferre,
Mon aveugle fureur, voyez qui sont ces doigtz
D’albastre ensanglantés, marquez bien le carquois,
L’arc & le dard meurtrier, & le coup qui m’aterre,

Ce maintien chaste & brave un cheminer accord :
Vous diriez à son pas, à sa fuitte, à son port,
A la face, à l’habit, au croissant qu’elle porte,

A son œil qui domptant est toujours indompté,
A sa beauté severe, à sa douce beauté
Que Diane me tuë, & qu’elle n’est pas morte.