XIV.
Je vis un jour un soldat terrassé,
Blessé à mort de la main ennemie ;
Avecq’ le sang l’ame rouge ravie
Se debattoit dans le sein transpercé.
De mille mortz ce perissant pressé
Grinçoit les dents en l’extreme agonie,
Nous proit tous de luy haster la vie :
Mort & non mort, vif non vif fut laissé.
« Ha, di-je allors, pareille est ma blesseure,
Ainsi qu’à luy ma mort est toute seure,
Et la beauté quy me contraint mourir
Voit bien comment je languy’ à sa veue,
Ne voulant pas tuer ceux qu’elle tue.
Ny par la mort un mourant secourir. »
XV.
Lorsque nous assaillons un fort bien defendu
Muny de gentz de bien, d’assiette difficile,
Le cœur, l’envye en croist, tant plus inaccessible
Et dur à surmonter est le bien prétendu.
Le butin n’est plaisant qui est si tost rendu,
L’amitié qui nous est trop prompte & trop facile
Rend l’or à bon marché & un grand threfor vile,
Et le fort bien tost pris aussi tost est perdu.
Il faut gaigner, garder une place tenable :
La gentille malice en la dame est loüable,
Par l’opiniastreté l’amant est embrasé.
Douce victoire, à peine ay-je fait preuve en somme
Que c’est le naturel de l’amitié de l’homme
D’affecter l’impossible & mespriser l’aisé.