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150 LE PRIMTEMS DU SIEUR D'AUBIGNÉ.

XIV.

Non, non,je veux vivre autant

Comme vivra ta rigeur,
Mourir vaincueur & contant
De ton yre & mon malheur.

Je ne crains pas que l'effort

D’un dart me face mourir,
Mais j’ay bien peur que la mort
M’empesche de plus souffrir :

Car l'aigreur de ton courroux

M’est plus douce que le miel.
Et cela me semble doux
Qui aux autres est du fiel.

Les injustes cruautez,

Les jeux qui me font mourir,
Les orguilleuses beautez
Ne m’ont lassé de souffrir.

Soit le mal, ou soit le bien,

Je l'aime en venant de toy :
Ton yre n’emporte rien
Qui ne soit trop doux pour moy.

Je succe le demourant

De mes tourmans inhumains,
Je me plais en endurant
Les coups de tes blanches mains.

Mais pourtant retire un peu

Tes poignans ensanglantez,
Et fay’ plus durer le feu
De tes douces cruautez.

Car je veux soufrir tousjours,

Je ne vis que de douleurs :