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123 ODES.

Qui proche de la mort s’apaise
Et vivant recroist peu à peu,
Car je n’ay vie que de feu.

L’Amour ne doit donques pas craindre

Que son ardeur se puisse esteindre,
Seullement il n’a pas permis
Que le voulloir en moy fust mis.
Ma rage & ma force m’entraine,
Je n’ay souvenir que ma peine,
Mon mal agréable & cuisant,
Et rien autre ne m’est plaisant.

Commant pensez vous donc, Maitresse,

Que le miserable qui laisse
Son cueur, ses espritz enchantez
Tousjours aux pieds de vos beautez,
Puisque la memoire est partie
De l’ame & l’ame de la vie,
Sans de l’ame se desunir,
Perdist de vous le souvenir ?

Mon martire & vostre puissance

Ne sortent de ma souvenance :
Je ne suis sans sentir & voir
A mes despens vostre pouvoir.
Pour Dieu, aiez pitié de l’ame
Qui pour vous est changée en flame,
Pleignez & secourez le cueur
Qui pour vous n’est plus que rigueur !

Voilà comment en vostre absence,

De l’immortelle souvenance
De mes maux & de vos beautez
Mes sens font bruslez, enchantez,
Et contraintz, privez de la veuë,
D’escrire cela qui me tue
Et donner vie à mes espris