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Ne fuyez, cruaultez, causes de mon malheur,
Approchez, vrays tesmoins de cruaultez semblables.
Le laict n’a plus de lustre en voyant vostre teint,
Auprez de vostre taint le lis en noir se change,
Prez de vostre douceur l’ambre perd sa louange,
Du sommeil la douceur par la vostre s’estaint.
Et combien de fois plus est douce vostre grace
Que la Serene douc’ & habile à charmer,
Que le miel ni que l’eau ; combien peut animer
Cett’ argentine voix cette celeste face !
Helas ! que de beautez qui ont pipé mes yeux,
Helas ! que de douceurs, que de douces merveilles
Ont surpris mes esprits espris par les oreilles,
Saisissans tous mes sens par si divers milieux !
Mais mon espoir trompé desmenti par l’espreuve
A veu vostre beau sein d’aconite noirci,
Ce sein plus blanc que neige estre froid tout ainsi,
Et en ses chants divins rien que ma mort ne treuve.
Ces yeux ; ces deux fambeaux, se sont faicts cruels feux,
Cette voix n’est qu’un ris de ma sanglante paine,
Mais ces feux, ínstrumens de ma perte certaine,
S’alentissent un peu par l’effort de mes pleurs [sic].
Ce poison ensucré de vos douces paroles
Qui m’a faict avaler doucement mon malheur,
Ce miel qui rend friand & souesve ma douleur
Ne me peut plus tromper d’esperances frivoles :
Je vois & si je sens s’escouler mon humeur,
Ores suis demi mort, ores demi de vie,
Et mon ame en souffrant est de plaisir ravie
Et ce souffrir luy est son souverain bonheur ;
Doux luy sont les efaicts d’une cause si belle :
Sousriant je me plains, n’appelant point torment
La peine que j’endure & mon vouloyr dement
La douleur qui me point pour t’aimer, ma rebelle.