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lisation qui, aux époques antérieures, a résidé plus particulièrement au sein des classes théocratiques et aristocratiques, anime aujourd’hui le peuple ; et que ce génie populaire a pour mission d’instaurer et de faire régner dans les lois le principe de la fraternité humaine.

Toute formule qui prétendrait préciser davantage est prématurée. Tout projet d’application immédiate et universelle est utopie. Tout ce qui tente de précipiter par la voie des armes la progression pacifique des idées est faction, et périra par les armes. Pareil au christianisme dont il s’inspire en partie, le socialisme puise sa force dans la persuasion ; il est de sa nature de convertir les cœurs et non de violenter les consciences.

Der Weltgeist hat keine Eile[1].

Le génie populaire procédera lentement, organiquement, comme toutes les forces créatrices. Pendant que les énergies désordonnées et stériles qui usurpent son nom, s’entre-détruiront à grand bruit, il croîtra, il se développera en silence. Pendant que l’esprit de secte armera le bras contre le bras, lui, le génie invisible, innommé, insaisissable, prendra doucement, sans éclat ni tapage, possession des âmes.

Absorbé par l’attention de pure curiosité que surexcite, depuis la révolution de Février, le mouvement tumultueux des choses dans l’ordre politique tout oreille et tout yeux pour les brusques péripéties et les changemens étourdissans de ce drame européen dont nous avons vu le prologue, mais dont nul d’entre nous, peut-être, ne connaît le dénoûment, le vulgaire laisse inaperçues les transformations qui s’opèrent dans l’ordre philosophique et moral. Il ne daigne pas constater les métamorphoses accomplies dans le règne des idées.

Et non seulement le vulgaire, mais les intelligences d’élite qui, peu après la révolution, confessaient n’avoir pas soupçonné l’existence du socialisme, le supposent aujourd’hui

  1. L’Esprit du monde n’a point de hâte.
    hegel