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que nous aurons des saturnales par toute la France, et que le moment peut être prochain où le secours de votre épée lui sera nécessaire. Les mœurs du xixe siècle, empreintes d’un caractère d’humanité et de douceur irréfragable, ne permettent plus d’appréhender le retour à des violences sanguinaires.

Les institutions fondées sur le concours perpétuel de tous, rendent aussi l’intervention d’un homme, quelque génie qu’on lui suppose, infiniment moins importante qu’aux époques où la masse de la nation végétait dans l’ignorance et dans l’apathie. Je n’hésite pas à dire qu’un homme de génie, au moment présent de notre civilisation, pèserait assez peu dans les destinées sociales : le bon sens, le véritable sens commun de la France tout entière, appelé dorénavant à s’exprimer sans cesse dans le confit permanent des assemblées électives et législatives, voilà, selon moi, la seule force en qui l’on doive se fier sans réserve et sans crainte.

Allez donc au far west, prince, non pas seulement, comme vous le dites dans vos ambitions trop humbles, pour créer à vos enfans une petite fortune, mais pour tremper leur âme et la vôtre dans ce puissant élément démocratique auquel les nations et les individus devront désormais demander la vigueur et la santé morales.

En dépouillant au plus vite les illusions excusables encore qui tiennent à votre naissance et à votre éducation, ne renoncez point cependant à la confiance en ces institutions républicaines qui vous repoussent momentanément du sol français. Enveloppez-vous de silence ; ne prenez conseil que de la solitude ; espérez tout de cette bonté sans bornes qui fait le fond des instincts populaires. Les choses vont vite, d’ailleurs, et les âmes montent haut quand le souffle de Dieu les pousse !