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ment le malheur de votre position et non le tort de votre jugement. Éloigné de France dès vos plus jeunes années, élevé par des personnes dignes de tout respect, mais étrangères par nature et par circonstances aux instincts, aux sentiments, aux idées de la génération présente ; grandi dans une atmosphère monarchique et aristocratique, comment vous rendriez-vous un compte exact des besoins et des tendances de la démocratie française ? Comment, à une si grande distance matérielle et morale, auriez-vous suivi un mouvement rapide et complexe à tel point que ceux-là mêmes sous les yeux desquels il s’accomplit ont peine à l’embrasser dans sa tumultueuse étendue ?

Il peut donc arriver, qu’animé des intentions les meilleures et doué du sens le plus droit, vous vous fassiez illusion sur notre situation politique, et que, un jour ou l’autre, en pensant vous dévouer au bonheur de la France, vous consentiez à jouer un rôle dont vous repousseriez avec indignation l’éclat équivoque s’il vous était montré sous son véritable aspect. Je n’ai pas mission de vous éclairer, Monseigneur. Une telle présomption me siérait mal. Néanmoins, en considérant combien votre rang, vos grandeurs et surtout vos infortunes rendent difficiles à ceux qui sembleraient mieux autorisés, de vous parler avec une sincérité entière et un complet dégagement d’esprit, je me sens poussé à vous soumettre quelques réflexions auxquelles vous ne refuserez pas votre attention, j’ose l’espérer ; non à cause de moi qui ne suis rien, mais à cause de la vérité qui vous parviendra, par mon humble entremise, dans toute sa simplicité, dans toute sa sévérité salutaire.

Personne plus que moi ne comprend tout ce qu’un exil tel que le vôtre commande de respect et de ménagemens. Nourri dans les traditions anciennes, allié de près à des personnes dévouées à votre royale maison et dont la mémoire m’est chère, si l’expérience et l’étude m’ont conduit dans une sphère d’idées différente de celle où j’avais commencé de vivre, je n’ai point pour cela, comme il arrive trop fréquemment, pris en haine ou en dédain ceux qui sont demeurés dans le premier état. En m’affranchissant de préjugés devenus inconciliables avec ma raison, je n’ai point oublié qu’ils ont leurs racines dans l’histoire. Je crois enfin pou-