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Ce n’est pas précisément à la même source que M. Thiers va puiser ses inspirations. Le succès récent de sa parole tempérée, vous vous en serez aisément rendu compte, est d’une nature toute différente et tient à des causes très opposées. M. Thiers est un habile tacticien ; il tourne l’ennemi avec une prestesse napoléonienne. Il vient d’exécuter de si merveilleuses manœuvres contre MM. Goudchaux et Proudhon qu’à l’heure où je vous écris la province en masse le considère comme le seul homme capable de rétablir l’ordre dans nos finances, et, ce qui est un bien autre titre à ses yeux, comme l’exterminateur du socialisme et le sauveur de la propriété. Désormais le Dieu Terme est dépossédé de son office. Point de champ bien gardé si la borne qui le sépare du champ voisin ne porte, taillés dans le grès ou le granit, le nez conservateur et le menton résolu du petit ministre.

Ceci me conduit à vous parler des orateurs nouveaux dans la personne desquels le socialisme a fait sa première apparition à l’Assemblée nationale ; apparition qui, selon moi, est un des symptômes les plus caractéristiques de cette force des choses, innommée et incomprise, qui nous pousse, en dépit de nos résistances, de nos erreurs, de nos folies, aux conséquences logiques de principes posés par le dix-huitième siècle.

J’aurais voulu que vous vissiez M. Pierre Leroux monter à la tribune. Tous les yeux le suivaient avec une sorte d’anxiété ; chacun retenait son haleine dans l’attente de cette parole encore inconnue à laquelle les circonstances prêtaient la gravité et l’autorité de l’apostolat. Un danger sourd menaçait le pays. Les socialistes avaient tant parlé de leur influence sur le peuple qu’on les croyait maîtres des évènemens. Déjà plusieurs orateurs les avaient conjurés de venir en aide aux politiques déconcertés. On les suppliait de