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Excité par des attaques dont la partialité lui permettait de confondre sa cause personnelle avec celle de la révolution, M. Ledru-Rollin a trouvé des accens pathétiques qui ont surpris les préventions les mieux en garde. Son improvisation chaleureuse dont le rhythme inégal semble ne se mesurer qu’aux battemens d’un cœur fortement ému, sa parole emportée et vibrante, ont produit un effet extraordinaire. Les acclamations arrachées en quelque sorte par M. Ledru-Rollin, dans la séance du 3 août, à un auditoire sinon hostile du moins très en défiance, sont un des plus étonnans triomphes de l’éloquence révolutionnaire. Cette séance a laissé dans l’Assemblée la conviction que, si M. Ledru-Rollin ne s’est pas montré au pouvoir aussi prudent, aussi modéré qu’il convenait de l’être, s’il a eu des écarts et des négligences infiniment regrettables, il demeure, par la trempe de son esprit, par la nature de son talent, un défenseur puissant du droit et de la liberté, un de ces orateurs qui exercent sur le pays, dans les momens de crise, une action décisive et salutaire.

Les ennemis de M. Ledru-Rollin, en lui donnant l’occasion, par leur sévérité outrée, d’une si belle défense, l’ont aidé, contre leur attente, à ramener à lui l’opinion publique. Elle apprécie aujourd’hui avec beaucoup plus d’équité des actes, répréhensibles il est vrai, mais compensés par de signalés services. Si elle condamne les inconséquences de l’homme d’état, les faiblesses coupables de l’administrateur, elle réhabilite le citoyen dévoué, le tribun courageux. Il n’a fallu, pour une telle conversion, que dix minutes d’une éloquence que j’appelais tout à l’heure révolutionnaire, parce qu’elle ne s’astreint à aucune règle et tire toute sa force de ce désordre entraînant par lequel se révèlent et se communiquent les passions profondes.