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vez-vous pas quelquefois observé un moment analogue dans la métamorphose des plantes, quand la fleur est flétrie et que le fruit n’est point encore développé ? Rien de moins agréable à l’œil que cette simultanéité d’une forme caduque et d’une forme embryonnaire. Ainsi du temps présent. L’éloquence et la poésie ont disparu avec le printemps de la liberté. Son été nous les rendra sous un autre aspect ; mais en attendant nous travaillons sans encouragement ni récompense. Nous subissons les conditions avares du progrès.

You fragments ! s’écrie le Coriolan de Shakspeare, en apostrophant le peuple mutiné ! Mot profond dans sa triste ironie. You fragments ! c’est l’arrêt des dieux jaloux qui pèse sur l’homme et sur les siècles. Rien de complet dans la vie mortelle. À chaque individu, à chaque génération, sa tâche fragmentaire. La nôtre est ardue plutôt qu’héroïque ; difficile, mais sans éclat. Hâtons-nous de l’accomplir pour pouvoir assister du moins avant l’heure du dernier repos, au réveil du génie chez une génération issue de nous et plus heureuse, amenée par les loisirs que nous lui aurons faits au culte de la beauté, de la poésie, de l’éloquence.

Pour répondre aux besoins des esprits, la parole, aujourd’hui, ne saurait être trop précise, trop sobre d’ornemens. Les longs développemens, les tours ingénieux, certaines élégances, certaines grâces même du langage, tout ce qui tient à l’art proprement dit semble un peu hors de propos, quand tout autour de nous se hâte fatalement vers une fin inconnue Exprimer simplement, avec mesure et clarté, des idées justes, c’est la seule perfection compatible avec l’effrayante et rapide succession d’hommes et de choses qui nous entraîne. L’Assemblée nationale se montre de cet avis. Elle a donné jusqu’ici très peu d’encouragemens aux essais oratoires. Les harangues l’ont trouvée distraite ; elle a fait promp-