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beaux esprits désœuvrés, en servant des intérêts purement individuels. Ce sont les exercices oiseux et souvent nuisibles de cette profession de flatterie dont parle Socrate, qui substitue le goût d’une beauté empruntée à celui d’une beauté naturelle. Un tel art n’a rien de sérieux. Il occupe une place très secondaire dans la vie intellectuelle des nations.

Mais lorsque des lois constitutives, quand la paix ou la guerre, la liberté ou le despotisme, résultent des délibérations d’une assemblée d’hommes égaux en droits, ne subissant d’autre empire que celui de la persuasion, alors l’art oratoire change de nature. Il entre, pour ainsi parler, dans sa virilité et s’élève à sa puissance la plus haute. Il devient l’expression suprême du génie des peuples.

En nous jetant en pleine démocratie, en conférant à tous les citoyens des droits politiques qui multiplient leurs relations entre eux, la Révolution de Février devait, selon toute apparence, imprimer un très grand élan à l’art oratoire. On s’attendait à voir surgir du sein d’une assemblée sortie du suffrage universel, du sein des clubs surtout, de véritables orateurs populaires. Il n’en a pas été ainsi. Dans les clubs où chaque soir, pendant quatre mois, le peuple allait traiter librement des affaires publiques, on n’a entendu que des déclamations plagiaires, des vulgarités hyperboliques empruntées au mauvais journalisme de 93. À l’Assemblée nationale, quelques renommées acquises et quelques voix nouvelles ont obtenu pour un jour un succès de déférence ou de curiosité, mais personne n’a conquis d’autorité durable ; nul n’est entré en possession de l’héritage des Mirabeau, des Vergniaud, des Danton. Ceux-là même qui peut-être les eussent égalés en talent ont senti entre eux et leur auditoire l’absence de cette communication magnétique qui est la