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devenues trop rares aujourd’hui, le rendent très propre à représenter un peuple qui hait les allures de parvenu, raille sans pitié tout ce qui blesse le goût, et veut toujours pouvoir respecter les chefs qu’il se donne.

Ajoutons que le général Cavaignac a longtemps vécu hors de France, et que cette absence prolongée l’a préservé des impertinences de la curiosté publique. Rare fortune en ce temps de publicité indécente, les défaits de sa vie échappent au vulgaire, qui n’en saisit que les grandes lignes. Aucun de ces mots malheureux ou équivoques, comme on en met dans la bouche de presque tous nos hommes politiques, aucune de ces anecdotes puériles ou ridicules qui les amoindrissent dans l’opinion, ne vient offusquer l’esprit, quand on interroge le passé du général Cavaignac. La pensée se repose avec satisfaction sur une carrière honorable, sur une existence pleine de dignité. Par un privilége enviable, le général Cavaignac n’est compromis avec aucun parti. Il n’a point d’antécédent à renier, point de promesse à rétracter ; il n’a promis que de rétablir l’ordre ; il a tenu parole. Désormais sa marche est libre. Il peut hardiment poser son but, frayer se route ; il peut faire appel à tous les hommes de bien et s’écrier, sans crainte d’être laissé seul : Qui m’estime me suive !

Examinons maintenant dans quels partis, ou plutôt dans quels groupes, car je ne saurais voir de partis constitués au sein de l’Assemblée, le général Cavaignac doit trouver les élémens d’une majorité, non point soumise comme l’entendait M. Guizot, mais capable de discipline politique. Avant les quatre fatales journées, on voyait à la Chambre, ou du moins on croyait y voir, le parti de la légitimité, le parti de l’Empire, le parti de la régence et le parti du jacobinisme communiste. On désignait les hommes de programme qui, un jour ou l’autre, s’empareraient de l’Hôtel-de-Ville pour y proclamer, qui Henri V, qui le prince de Joinville, qui Barbès, qui Napoléon Bonaparte. L’aigle, le lys, le coq et le niveau flottaient ouvertement sur des pavillons prêts au combat. Mais les tempêtes de mai et de juin ont dispersé et désemparé les flottes ennemies. On n’aperçoit plus qu’embarcations et radeaux épars, qui rament à la hâte vers un même