et non suspecte cependant à cette partie de la nation qui, n’ayant plus qu’à jouir des fruits de son travail, se préoccupe avant tout de l’ordre, de la propriété, des droits acquis, des hiérarchies légitimes.
Une telle entreprise rencontrera, je ne l’ignore point, des difficultés de plus d’une sorte. Une des principales tient, sans contredit, à la variabilité extrême de l’opinion qui confère le pouvoir. Pour que le chef de l’Etat puisse attirer et retenir à soi les hommes éminens des partis, il faut, non seulement qu’ils le voient appuyé sur le sentiment général, mais encore qu’ils comptent sur une certaine durée de ce sentiment. Or, depuis quatre mois, nous avons vu des alternatives de l’opinion si brusques et si fréquentes que toute confiance dans la stabilité des rapports est à peu près évanouie. Il s’agit, avant tout, de faire renaître cette confiance. Le général Cavaignac y parviendra-t-il ? On n’oserait l’affirmer. Cependant il paraît, à cet égard, dans des conditions meilleures que ses devanciers. Il ne semble pas impossible qu’il ne fixe, pour quelque temps, cette faveur de l’esprit public dont il jouit aujourd’hui, cette popularité sérieuse qui tient moins de l’admiration que de l’estime, et qui, par cela même qu’elle ne se montre pas enthousiaste, demeurera sans doute plus fidèle.
Républicain éprouvé, mais sans emportement, le général Cavaignac, si son nom n’éveille aucun souvenir fâcheux dans les imaginations que hantent les fantômes de 93, n’inspire non plus aucun ombrage à ces amans jaloux de la République aux yeux de qui tout est déguisement, complot, trahison. La simplicité sévère de sa vie privée, une présence honorée au foyer domestique, rassurent les âmes inquiètes qui croient la famille menacée et les mœurs en péril. Les éventualités d’une guerre prochaine contribuent, d’ailleurs, à rendre un chef militaire plus agréable encore à cette Gaule belliqueuse sur laquelle une épée nue a toujours exercé une fascination irrésistible.
Le beau visage du général Cavaignac, la douceur et la mélancolie de sa physionomie méditative, son regard sincère, la grâce sérieuse de son attitude, la parfaite convenance de son langage ferme et réservé, tout un ensemble de formes