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Les évènemens de juin ont amené au pouvoir un homme dont personne ne révoque en doute ni les principes républicains, ni la capacité militaire, ni la moralité, et qui porte avec honneur un nom entouré de respect. Cet homme, sommé par la représentation nationale de rétablir la paix et l’ordre public ébranlés tout à coup jusqu’en leurs fondemens, a rempli sa mission imprévue avec une habileté courageuse, et, chose plus difficile encore peut-être, il a su exercer la dictature de telle manière qu’aucun soupçon d’ambition égoïste n’est venu ternir sa réputation sans tache.

Au sortir d’une lutte terrible, dans laquelle il n’a pu triompher qu’avec le concours d’une masse nombreuse, très disposée à rejeter sur l’esprit démocratique les malheurs de la guerre civile, on l’a vu résister au courant de l’opinion victorieuse et composer avec prudence au ministère qui a semblé, dans le péril commun, offrir aux républicains inquiets des garanties acceptables.

Jusqu’ici, les plaintes et les critiques dont le nouveau gouvernement est l’objet, faisant une large part aux circonstances, n’attaquent ni les intentions, ni même les talens politiques du général Cavaignac. C’est là un phénomène assez singulier dans nos annales révolutionnaires, et sur lequel il n’est pas déraisonnable de fonder quelque espoir, dans la mesure du moins où l’effrayante et rapide désorganisation de la société européenne peut le permettre.

À l’exaspération des esprits, aux terreurs immodérées, à l’entraînement aveugle des réactions, succède insensiblement une sorte d’apaisement public au sein duquel j’entrevois plusieurs élémens de conciliation qui, favorisés dans leur rapprochement, constitueraient autour du pouvoir une force assez imposante pour qu’il pût marcher librement et travailler, sans trop d’entraves, à l’organisation de nos libertés. Si le chef de l’Etat sait mettre à profit le moment propice, il peut opérer une fusion entre diverses fractions de l’Assemblée, entre des groupes épars plutôt qu’hostiles, séparés par des dissentimens passagers plutôt que par des dissidences radicales. Il peut composer une majorité intelligente, novatrice, qui serait tout à la fois sympathique aux classes ouvrières