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milles, le cri de vengeance des peuples opprimés, la détresse et la faim qui se dressent dans leur linceul, la muette apparition, aux extrémités de l’Orient, d’une barbarie nouvelle qui s’avance, la stérilité des arts, la pâleur du génie, les dieux indifférens à notre culte dérisoire, toutes ces images lugubres se pressent dans mon cerveau glacé d’effroi… Dans le silence de mon âme consternée, je crois ouïr un bruissement sinistre… Ange exterminateur, est-ce toi qui passe au dessus de nos têtes ?

Ô mon ami vénéré, vous qui possédez la foi des temps primitifs, grand esprit, cœur pur, poète sublime, qui élevez vers le ciel la prière de toute une nation, et qui chantez, sur un mode immortel, des hymnes héroïques, dites-moi, dites-moi, je vous en conjure, qu’il ne faut point désespérer…

La plume me tombe des mains. Le rappel bat, on court aux armes, des décharges retentissent ; on dit que des barricades s’élèvent de toutes parts. La vague appréhension d’une calamité épouvantable plane dans l’air ; une poignante anxiété serre tous les cœurs…

28 juin.

Tout est fini. L’insurrection est tombée dans des flots de sang. Paris, menacé pendant soixante et douze heures, respire, mais consterné, morne, baignant de larmes amères ses plaies ensanglantées. Ô ma patrie, ma chère patrie, combien de tes nobles enfans ont péri dans cette lutte fratricide ! Que de pertes irréparables ! Que de jeunes dévouemens frappés de mort ! Que d’espérances brisées dans leur fleur ! Que de mémoires ensevelies dans l’oubli, qui devaient conquérir un jour l’immortalité ! Quel tribut opulent aux divinités infernales ! Ô ma patrie, ma désolée patrie, quel deuil tu vas mener ! Par quelle immense expiation, par quelles hécatombes tu rachètes les égaremens de tes enfans rebelles ! Tes entrailles déchirées par eux s’émeuvent d’une compassion infinie. Tu ne te souviens plus à l’heure des funérailles, que de leur malheur… Mère éternellement tendre, après avoir frappé les coupables, au lendemain des ri-