Page:Agoult - Lettres républicaines.djvu/15

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sulter. Depuis qu’ils n’ont plus peur, c’est à qui lui jettera la pierre.

En voici un autre, non moins altéré de sang innocent, non moins épris de guillotine, le citoyen Flocon. Celui-ci, chose grave, a le teint pâle, la moustache soldatesque, l’air de tête provoquant. À la tribune, il parle avec netteté, précision, sans artifices oratoires. Il serait à souhaiter que son mode simple et bref d’exposer les affaires prît faveur dans une assemblée où le bavardage déclamatoire des avocats de province fatigue incessamment l’esprit et l’oreille.

Pourquoi M. Flocon croit-il devoir affecter les allures brusques et familières, des façons peu courtoises qui choquent les habitudes de la société française ? Par société, comprenez bien que je n’entends point les salons aristocratiques, mais le peuple tout entier ; ce peuple d’Athéniens, comme disait avec orgueil le plus démocrate des journalistes, ce peuple sensible aux grâces du langage, à l’aménité, à la délicatesse des formes, que vous auriez pu voir, ces jours passés, applaudir aux vers de Racine et couronner de fleurs la muse antique. Quelle erreur serait la nôtre en faisant de la démocratie de Hurons ! Les vertus républicaines n’ont nul besoin de se créter dans leur impolitesse. La République n’est point une parvenue qui craigne de se commettre en se montrant aimable.

Le visage noble, l’air contemplatif de M. Jules Bastide, son front voilé, forment un étrange contraste avec la physionomie mobile et ce que les phrénologues appelleraient la communicativité de son voisin, M. Crémieux. Combien ne doit pas souffrir des agitations de la vie publique ce rêveur platonicien, cet Obermann apaisé, confessé, qui disait, dans les années orageuses de la jeunesse : « j’aime à écouter, dans le silence de la vie d’habitude, le mouvement sourd de la vie intérieure ; » lui qui enviait à un ami la joie mélancolique de voir monter la lune sur le Vélan ! M. Bastide faisait partie, vers 1818, de ce groupe de rares esprits, un peu sauvages, qu’un critique célèbre définissait ainsi : « Hommes sensibles et enthousiastes ; méconnus ou ulcérés ; génies gauches, malencontreux, amers ; poètes sans nom ; amans sans amour, ou défigurés. »

Celui qui entre là-bas, commodément, tranquillement, un