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pour l’existence de la famille si les enfans d’une même patrie sont divisés de telle sorte qu’on désespère presque de la réconciliation ; si l’on voit aux prises, dans nos luttes civiles, tant de basses cupidités, tant de mesquins égoïsmes ; s’il n’y a plus d’autel pour une commune prière, plus de drapeau pour un commun dévoûment ; filles, sœurs, épouses, mères françaises, il m’en coûte de prononcer une aussi dure parole, c’est que votre voix a perdu l’accent qui commande les grands sacrifices ; c’est que votre front ne rayonne plus de cette lumière qu’inspire les grandes pensées ; c’est que vos mains amollies n’ont plus cette étreinte qui retient au devoir et récompense les grandes vertus.

Je sais que dans un pays où l’on refuse encore aux femmes les droits les plus élémentaires où l’on juge équitable et nécessaire au salut public de les humilier dans une minorité perpétuelle, et où, de crainte qu’elles n’en sortent, ni l’État, ni même la famille ne leur donnent d’éducation rationnelle, il serait rigoureux de les rendre complètement responsables du bien qu’elles ne font pas et du mal qu’elles ne savent point empêcher. Cependant notre histoire présente d’assez nombreuses et d’assez illustres exceptions de grandeur féminine pour qu’on en puisse conclure qu’il règne de nos jours, parmi le sexe, une coupable indifférence à sa propre élévation, et que les femmes demeurent volontairement dans un état de subalternité morale où l’influence qu’elles ne peuvent manquer d’exercer toujours, par la séduction naturelle des grâces physiques, devient nuisible à elles-mêmes, à la famille, à la nation toute entière.

Il ne dépend pas des femmes de changer les lois, mais il dépendrait d’elles de rendre manifeste qu’il les faut changer. Au lieu de se dédommager de la servitude par le despotisme[1], comme elles ont coutume de le faire pour peu qu’elles

  1. J’emprunte cette expression à l’excellent ouvrage de M. Ernest Legouvé, Histoire morale des femmes.