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jour où la Russie qu’elle exècre voudrait intervenir dans la lutte.

En effet, ce sera là, selon toute vraisemblance, la crise suprême de la révolution allemande. Quand les rois et les gouvernemens constitutionnels seront aux abois, la Russie qui épie et saura créer au besoin le prétexte d’une guerre de race, jetera ses masses formidables sur le Danube et sur la Vistule ; alors un grand cri retentira sur le Rhin ; tous les regards se tourneront vers nous et, selon la prophétie de Napoléon, il faudra que l’Europe devienne cosaque ou républicaine.

Ce jour qui pourrait ouvrir une phase héroïque de notre histoire, comment nous trouvera-t-il préparés ? Quel ascendant aurons-nous su prendre au dehors ? Quelle force intime puiserons-nous dans nos institutions et dans les mœurs régénérées ? Qu’aura fait notre Gouvernement pour rallier les partis, améliorer le sort des classes laborieuses, nous rendre enfin cette vue puissante dont le principe est dans l’institution républicaine bien comprise, hardiment, largement développée ?

À cette heure réparatrice où les traités des rois seront mis en lambeaux par l’équité des peuples ; en ce jour qui changera la géographie européenne et recomposera organiquement, selon les aggrégations naturelles, la République occidentale, notre grande patrie saura-t-elle remplir sa mission, jeter dans la balance son glaive et sa parole ?… Je le souhaite plus que je ne l’espère !

Jusqu’ici, une armée ruineuse occupée à réprimer l’émeute dans nos rues ; une diplomatie ignorante, subalterne, plus timide mille fois que la diplomatie de Louis-Philippe, nous présagent bien peu de gloire dans cet avenir qu’on semble ne pas même soupçonner. Tout éloigné qu’il soit, je crains qu’il ne nous surprenne encore, et qu’il ne nous faille expier chèrement notre incurie et l’abandon de nos principes.

Mais j’ai presque un remords de jeter ces appréhensions