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pas s’y tromper, ce n’est pas un président, ce n’est pas un citoyen nommé Louis Bonaparte, que les paysans vont élire ; c’est un empereur, mieux que cela, c’est l’empereur ; l’empereur en redingote grise et en petit chapeau ; l’empereur d’Austerlitz, l’empereur de Béranger surtout, car c’est la chanson du pète qui a ouvert au grand capitaine la porte des chaumières ; c’est par Béranger, ce rhapsode familier de l’histoire impériale, que les batailles de Napoléon sont devenues l’Iliade du peuple.

La préoccupation des dangers dont la propriété se croit menacée, préoccupation qui est pour beaucoup dans la réaction contre le principe républicain, influe aussi, sans peut-être qu’ils en aient conscience, sur le vote des Orléanistes et des légitimistes. Les uns et les autres en faisant alliance, estiment d’un bon exemple que le principe de la transmission héréditaire triomphe en politique, c’est une garantie de plus pour l’hérédité des biens, et d’ailleurs chacun espère que le droit de naissance une fois rétabli et sanctionné par l’élection de M. Louis Bonaparte, il ne sera pas malaisé, vu l’incapacité du personnage, de faire remonter l’application du principe à qui de droit, c’est-à-dire, selon ceux-ci, au Comte de Paris, selon ceux-là, à Henri V.

Calculs insensés, erreurs déplorables de tous les partis qui travaillent sans le vouloir au profit d’une coterie. « Ces alliances, a dit autrefois M. Thiers, ne sont qu’une réciproque duperie. Ceux qui croient y gagner y perdent la considération publique. »[1]

Les populations rurales qui veulent une dictature seront cruellement déçues le jour où, par leur faute, le pouvoir passera aux mains indécises d’un homme qui n’a jamais occupé d’autre fonction politique que celle de constable, et qui, à défaut d’expérience, ne possède ni le génie qui devine, ni l’autorité qui s’impose.

Incapable de tenir unis les hommes d’État dont le concours anormal favorise ses projets, M. Louis Bonaparte se verra bientôt désavoué, abandonné dans son impuissance à la risée de l’Europe, à l’indignation du pays trompé.

L’armée, humiliée d’obéir à un chef qu’elle n’a jamais vu

  1. La monarchie de 1830.