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Vous êtes las d’agitation et de troubles ? Prenez un soliveau : rien de plus pacifique. Le soliveau ne gouvernera pas : rare, précieux avantage ! Il laissera gouverner autrui. Or, autrui, dans la tactique des meneurs d’intrigue, c’est celui à qui l’on parle ; c’est vous, c’est moi, c’est tout le monde. Un président qui préside et ne gouverne pas, admirable variante du programme de 1830 qui a décidé sans doute ce surprenant concours de M. Barrot, l’enthousiasme de la rue de Poitiers, la neutralité bienveillante de M. Thiers.

On assure également que cette perspective du soliveau a beaucoup d’attrait pour le parti légitimiste qui d’ailleurs professant depuis longtemps cette maxime : que la Providence fait sortir du plus grand mal le plus grand bien, est chrétiennement engagé à procurer autant que possible ce pire état d’où naîtra le souverain bien, autrement dit, la restauration d’Henri V.

Il y aurait peu de clairvoyance toutefois, et beaucoup de cet entêtement de parti dont j’ai à cœur de me défendre, à ne pas reconnaître que les chances de M. Louis-Bonaparte ne sont pas seulement l’œuvre de l’intrigue mais qu’elles se fondent sur l’opinion libre d’une classe très nombreuse, sur la disposition d’esprit du peuple des campagnes et même d’une fraction de la classe ouvrière des villes.

Les campagnes sont mécontentes. L’impôt des 45 c. et la crainte du partage des terres qui s’est emparée de l’imagination des paysans ont soulevé contre la République une colère peu réfléchie, mais d’autant plus opiniâtre. Généralement taciturne, le paysan goûte peu les assemblées délibérantes : la liberté de la presse, dont il n’use jamais, n’a pour lui aucun charme : ce qu’il veut avant tout, c’est un pouvoir fort qui lui garantisse la jouissance et la transmission de sa propriété. Or, ses notions politiques ne lui permettent pas de concevoir le pouvoir autrement que sous la forme personnelle ou monarchique.

Mais comme il a vu en ces derniers temps deux monarchies tomber sans résistance, il se méfie des restaurations bourbonniennes ; il pense qu’un empereur seul, un nouveau Napoléon aura la main assez ferme pour réduire les bavards au silence et faire rentrer sous terre les communistes ou partageux, c’est ainsi qu’il les appelle. Il ne faut