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ment ; sur le champ de bataille plus d’exaltation que de constance. On dirait que vous attendez de la politique les miracles de la légende et que, ne les voyant point éclater, vous perdez aussitôt confiance en vous-mêmes et en Dieu.

Un enseignement sérieux et viril, tel que celui qui ressert aujourd’hui des écrits de vos sages réformateurs et de la presse démocratique, a manqué trop longtemps au peuple italien. Les écoles libérales n’ont presque rien fait à cet égard, tout au contraire. Elles ont prêché de vagues théories ; elles ont fait appel à de plus vagues sentimens ; elles ont caressé surtout la vanité nationale qui s’est enflée outre mesure. Le libéralisme, et c’est là son plus grand tort, n’a pas su fonder chez vous une véritable opinion publique, ni formuler un symbole général supérieur à vos préjugés particuliers, à vos rivalités de provinces, à vos jalousies, à vos antipathies héréditaires. Votre éducation est donc toute récente, et jusqu’ici on peut dire que l’action a devancé la pensée ; c’est pourquoi vos efforts les plus héroïques n’ont abouti qu’à des succès éphémères, presque aussitôt suivis d’affreux désastres.

La conclusion que vous tiriez, à l’époque où paraissait votre livre, d’un état de choses aussi fâcheux, et la juste défiance que vous inspirait l’antipathie instinctive du génie italien pour le progrès rationnel et scientifique de l’esprit moderne, semblait ajourner indéfiniment tout espoir d’affranchissement pour votre infortunée patrie. L’Italie a perdu le droit d’initiative dans les révolutions contemporaines, disiez-vous ; soumise alternativement aux influences contradictoires de l’Autriche ou de la France, elle n’a plus de mouvement qui lui soit propre, et n’avancera que le jour où la révolution démocratique, devenue européenne, universelle, l’entraînera avec elle dans un irrésistible courant. Jusque là toute révolte sera prématurée, tout effort téméraire ; tout soulèvement retombera vaincu.

En pensant et en parlant ainsi, votre cœur était rempli d’amertume et vous n’espériez pas sans doute entendre jamais sonner l’heure de la délivrance ! Eh bien, mon ami, les évènemens se sont pressés de telle sorte qu’ils dépassent de bien loin nos plus audacieuses prophéties. La révolution n’est plus française, elle est européenne. Tout se hâte, tout se précipite.