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premier essai, comme une victoire du principe démocratique. Cependant, il sera bien de ne point multiplier de telles victoires ; et, maintenant que le bon sens public a fait ses preuves, je pense qu’il conviendra, aux élections prochaines, d’accuser avec plus d’énergie la volonté de marcher dans des voies nouvelles. Il y aura un juste tempérament à garder, l’expérience de cette première session le rendra facile, entre le scepticisme circonspect des hommes de tous les régimes et le fanatisme aveugle des sectaires.

Les journaux vous auront parlé du costume des représentants, décrété dans des vues de salut public dont personne n’a paru se rendre compte. Nos provinces se sont émues toute une semaine d’un certain gilet à la Robespierre, dont l’ampleur menaçante ne cachait rien moins que la guillotine, la proscription, le pillage. Ici, nous n’avons fait que sourire de ce plagiat innocent. Le Charivari lui a donné, dans la spirituelle galerie de ces caricatures, la seule place dont il fût digne. Chacun a continué de se vêtir à sa guise. Il eût été trop inconséquent, en effet, qu’avec la liberté de conscience nous n’eussions pas eu la liberté de costume, voire même la liberté de l’absurde. Ceci me rappelle, et je suis bien aise de vous le faire savoir, qu’il y a encore des gens parmi nous qui se traitent entre eux de ducs, de marquis, de vicomtes ; que les armoiries, un moment effacées, ont reparu sur les équipages ; que cette noblesse d’hier surtout, dont les titres s’étaient payés à beaux deniers comptant, est rentrée, sottise déployée, dans le privilège du ridicule.

Ceci dit en passant, je vous ramène à la séance. Le citoyen Buchez est assis au fauteuil. Sa forte corpulence, un peu affaissée, indique l’âge du retour. Ses rares cheveux châtains laissent à découvert un front qui ne manque pas de développement, mais où pourtant la pensée ni ne rayonne, ni ne commande. Un œil bleu laisse tomber sur les choses un regard vague et doux qui contraste avec un certain emportement de gestes et d’accent dont il ne semble pas maître. La majorité, qui a choisi M. Buchez, est une majorité de compromis, de conciliation, comme l’on dit depuis quelque temps. Les suffrages du parti clérical étaient acquis à son orthodoxie catholique. D’autre part, les républicains, les montagnards même, auraient eu mauvaise grâce à se mon-