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pugne au rude joug de la raison moderne. Je le voyais, dans l’ardeur créatrice de son catholicisme un peu païen, enfanter des œuvres merveilleuses de beauté, de sentiment, d’harmonie. Je le voyais imprimer à l’Europe ce sublime élan de foi et d’amour qui a entraîné et dominé la civilisation de trois siècles ; je contemplais avec ravissement la plénitude de cette énergie souveraine qui a donné au monde le Dante, Michel-Ange, Bramante et Raphaël.

Temps de splendeurs et d’enchantemens ! L’Italie, cette Grèce catholique, tenait alors, de droit divin, sans que nul osât le lui disputer, le spectre idéal. C’était bien véritablement alors le primato italiano, que rêve encore, dans son patriotisme enthousiaste, malgré la brutale évidence des faits, votre illustre Gioberti. Prémuni par une logique plus ferme et par une méthode plus rigoureuse contre les illusions de l’amour-propre national, vous n’avez point comme lui confondu les temps, et votre raison solide a marqué avec justesse le moment historique où l’initiative du progrès échappe au génie italien. Ce moment, c’est celui de la réforme. À dater du jour où l’esprit d’examen ouvrit la période scientifique de la civilisation européenne, où la liberté d’investigation put faire brèche à l’autorité orthodoxe, le raisonnement au sentiment, dès cette heure fatale à la prépondérance de l’Italie, le mouvement des idées inclina vers un autre pôle et s’éloigna sensiblement de la source où les générations précédentes avaient puisé la vie intellectuelle.

Une autre sphère d’activité appelait à elle les forces civilisatrices. La mission religieuse et artiste de l’Italie était accomplie, son règne terminé. Trop pénétré de sa propre grandeur, trop ébloui de sa gloire, trop intimement uni au principe que venait attaquer la philosophie moderne, le génie italien refusa d’obéir à cette influence étrangère ; il ne put ou ne voulut pas entrer dans les voies révolutionnaires de la critique et de l’analyse. Il se replia en quelque sorte sur lui-même ; il demeura immobile, fier et dédaigneux ; pareil à cette Nuit immortelle du grand statuaire, il sembla, lui aussi, dire à la science nouvelle : « Non mi destar… »

Poursuivant avec une rigueur que l’on pourrait appeler implacable, tant elle devait coûter à votre patriotisme, les conséquences de cette première scission, vous avez osé, au