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pour ainsi dire, au profit d’un homme, le culte sacré rendu à la mémoire du grand empereur ?

Ignorez-vous que, spéculant sur le sublime instinct du peuple, qui, dans la puissante simplicité de son cœur, nie la mort du génie et retient sur la terre ces ombres glorieuses que les poètes osent à peine évoquer dans d’inaccessibles Élysées, un parti plein d’audace présente à l’acclamation de la France un candidat dont la seule valeur est un nom ? Le peuple qui n’analyse ni n’examine, le peuple qui n’a jamais cru sérieusement à la mort de Bonaparte, et qui a toujours préféré les calamités glorieuses de ce règne magique aux humiliantes prospérités des règnes bourbonniens, entendant tout à coup retentir ce grand nom enveloppé de silence pendant quelques années, frémit, s’agite, se passionne ; sa magnanimité oublie tout ce qu’il a souffert ! Il ne se souvient que d’une chose : Waterloo et Sainte-Hélène ne sont pas vengés. Il faut que Bonaparte nous conduise à l’ennemi ; il faut que l’empereur soit président de la République !

Et n’allez pas croire qu’il y ait dans mes paroles la moindre trace d’ironie. Non ; je parle et je pense sérieusement, tristement. Cette infime condition de l’humanité qui se voit si souvent condamnée à exprimer un sentiment sublime par une folie, m’étonne et me consterne. Un rapprochement étrange se fait dans mon esprit.

Il y a bientôt huit années, j’assistais à un spectacle digne d’Athènes et de Rome. C’était l’hiver. La terre était glacée, les travaux suspendus, la campagne silencieuse dans sa morne beauté. Sur les eaux argentées de la Seine, un deuil triom-