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HISTOIRE

visoire du département du Nord, arriva à Lille escorté de quelques jeunes gens des villes d’Amiens, d’Arras et de Douai où il venait de faire proclamer la République. M. Antony-Thouret fut accueilli sans démonstrations hostiles, mais avec une extrême froideur. Ses antécédents ne lui donnaient pas une grande autorité dans le département qu’il venait administrer, et cette autorité se vit encore fort amoindrie par la lutte qui s’engagea immédiatement entre lui et M. Delescluze, à qui il avait apporté, sans le savoir, une dépêche de M. Ledru-Rollin, qui conférait à ce dernier les pouvoirs extraordinaires de commissaire général dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. Des conflits qui furent la suite de ce malentendu, de l’extrême négligence dans les instructions données au ministère de l’intérieur[1],

  1. J’ai déjà eu occasion de faire remarquer combien ces instructions beaucoup trop vagues au point de vue administratif, étaient modérées et conciliantes au point de vue politique. La lettre ci-jointe de M. Jules Favre, adressée à M. Delebecque, rédacteur en chef du Libéral du Nord, en date du 2 mars, le montre avec évidence :
    Paris, 2 mars 1848.

    « La République doit être partout accueillie avec joie, parce qu’elle est la fin d’un système de compression et de honte nationale, et le commencement d’une ère vraiment démocratique. Pacifique, parce qu’elle est forte, elle doit se montrer calme et généreuse. Vous devez donc éviter avec soin tout ce qui peut effrayer la bourgeoisie qui est avec nous par le cœur, qui le sera dans peu par l’intérêt, mais qui s’inquiète d’un état de choses si nouveau pour ses idées. Annoncez partout que la République n’est pas la destruction de ce que la bourgeoisie peut croire menacé : la propriété, la famille. Elle en est au contraire la consolidation. En favorisant les travailleurs, elle intéresse un plus grand nombre de citoyens au repos social. Elle réalise ce que bien des gens traitaient hier d’utopie : tout pour le peuple et par le peuple. Ne craignez pas du reste les clubs qui vont s’ouvrir en province, comme ils sont ouverts déjà ici. Les libres réunions, les discussions publiques des actes du gouvernement et des théories politiques sont la conséquence du système nouveau. Contrariées, elles le renverseraient. Tolérées, encouragées, elles le fortifieront. Que vos amis s’empressent de se faire affilier à ces sociétés, et soyez sûr que la raison et le bon sens du peuple feront justice de toutes les exagérations, de toutes les excentricités de quelques esprits mal faits.

    « En résumé ; nous sommes forts ; nous pouvons être modérés. Ni