capable de comprendre et d’achever l’œuvre du peuple. En un mot, tous hommes de la veille et pas du lendemain. »
Cette phrase malhabile, qui cependant n’exprimait autre chose qu’une idée fort simple, acceptée par tout le monde, à savoir que la République devait employer des agents républicains[1], fut commentée et raillée de mille manières par la presse royaliste. Comme il arrive généralement en pareilles occasions, ces attaques outrées, au lieu d’éclairer le ministre et de le rendre plus circonspect, le provoquèrent à des exagérations nouvelles. Dans la circulaire du 12 mars, il insista sur le point qui avait blessé, et lui qui recommandait à ses agents, dans ses instructions verbales, tous les ménagements de la prudence, il leur adressa dans une circulaire officielle, comme s’il eût pris plaisir à défier l’opinion, des injonctions aussi inutiles qu’impolitiques.
« Vous demandez quels sont vos pouvoirs, disait le ministre, ils sont illimités. Agent d’une autorité révolutionnaire, vous êtes révolutionnaire aussi. La victoire du peuple vous a imposé le mandat de faire proclamer, de consolider son œuvre. Pour l’accomplissement de cette tâche, vous êtes investi de sa souveraineté, vous ne relevez que de votre conscience, vous devez faire ce que les circonstances exigent pour le salut public. »
- ↑ Cette nécessité était comprise de tous les hommes de bonne foi. Un grand nombre d’anciens députés, de personnes influentes dans le parti conservateur ou libéral, renoncèrent aux candidatures qui leur étaient offertes par ce sentiment de convenance politique. M. Paillard-Ducléré, beau-père de M. de Montalivet, proclamait tout haut l’intention d’appuyer l’élection de MM. Garnier-Pagès et Ledru-Rollin. Le maréchal Bugeaud déclinait la candidature. Un ancien député des Côtes du Nord et du Morbihan, M. Bernard, conseiller à la cour de cassation, s’exprimait ainsi dans une lettre à ses concitoyens : « Est-ce bien, d’ailleurs, aux députés qui ont soutenu depuis huit ans la monarchie constitutionnelle, qu’il faut demander l’établissement de la République ? Quelque sincère que fût leur concours, la défiance inspirée par leur passé ne les frapperait-elle pas d’impuissance ? Il importe, à mon avis, que l’Assemblée nationale, sauf un certain nombre d’orateurs et d’écrivain éminents de nos deux anciennes chambres, soit composée d’hommes nouveaux. » (Journal des Débats, 23 mars 1848.)