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DOCUMENTS HISTORIQUES.

Pour ces hommes, les vrais coupables, il faut une répression rigoureuse et énergique : la peine de mort ou la déportation.

Pour les hommes égarés, du pain et la clémence.

Le chef de division de la sûreté générale,
Signé Panisse.


XXI


Dans un moment où l’issue de la lutte n’était pas douteuse, et où l’on entendait partout des cris de triomphe, pleins d’emportement et de colère, j’entrai dans le cabinet où se tenaient les réunions du gouvernement. Cavaignac y était avec sa mère. Il avait la tête appuyé sur ses genoux. Il pleurait.

Je dis à Cavaignac : « Je ne vois qu’un moyen pour que les malheurs d’aujourd’hui n’entraînent pas des malheurs plus grands : il faut que tu prennes la dictature. L’Assemblée est toute prête à te la donner. Tu es bien sûr de toi. Tu la déposeras dès qu’elle ne sera plus nécessaire. La majorité de l’Assemblée est trompée aussi bien que la plupart des insurgés. Elle va vouloir proscrire en masse. Tout ce qui s’est mêlé de près ou de loin à la révolte va former un parti irréconciliable. Ce sera là une menace incessante de guerre civile. La réaction commence. Aujourd’hui, elle frappe les insurgés, bientôt, elle viendra jusqu’à nous. Prends la dictature ; fais disparaître les vrais auteurs de l’insurrection. Tu diras aux révoltés, prisonniers ou autres : La République que vous aimez, vous avez failli la tuer en suivant les inspirations de ses ennemis. Ceux-là, nous les punissons. Vous, retournez au travail ; on aura soin qu’il ne vous manque pas ; et prenez garde de retomber dans les mêmes erreurs ; car, vous le voyez, la répression est terrible. » J’ajoutai : « Ce qui importe, c’est d’atteindre les vrais instigateurs de l’émeute, de ne frapper qu’eux, de faire bien sentir au peuple qu’il a été égaré, trompé par eux. »

Cavaignac me répondit : « C’est un coup d’État que tu demandes. Un coup d’État ! Je n’en veux pas, je n’en ferai jamais. La France n’en a vu que trop depuis soixante ans. Nous devons, nous, lui en faire perdre l’habitude, au lieu de lui en imposer un de plus. La dictature ! tu n’y songes pas. La dictature, quand nous avons les pieds dans le sang ! Ce serait autoriser le premier venu à tuer des hommes pour arriver au pouvoir. Ce qui manque surtout à ce malheureux pays, c’est le respect de la légalité. Le seul service que nous puissions rendre à présent, c’est d’inspirer ce respect, en en donnant nous-mêmes l’exemple. Il y a aujourd’hui un souverain légitime ; c’est l’Assemblée. Si elle veut amnistier, elle fera bien, mais ce n’est pas à moi à choisir les coupables. »