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DOCUMENTS HISTORIQUES.

ment provisoire n’ait pas voulu accueillir la communication si positive qui lui a été faite. J’ai à regretter qu’en ne m’interrogeant pas, le gouvernement m’oblige à décliner un honneur que je n’ai point recherché, au-devant duquel j’aurais été s’il eût été convenable de le faire.

Je n’accepte point le ministère de la guerre.

Il me reste à en faire connaître le motif.

Au jour même d’une révolution lorsqu’il n’est question que d’une chose, de donner au gouvernement nouveau un gage de dévouement absolu, le nom d’un bon citoyen appartient à la nation ; elle en dispose suivant sa volonté. Si donc, le 24 février au soir, mon nom eût figuré au nombre des ministres, j’eusse accepté cette désignation comme j’ai accepté celle qui m’a placé où je suis.

Aujourd’hui, la République n’a pas besoin d’un sacrifice semblable, et pour entrer dans son gouvernement, il devient utile, nécessaire, que celui qui, par exemple, acceptera le ministère de la guerre, connaisse la volonté du gouvernement, soit éclairé sur ses vues. En un mot, les hommes qui sont appelés à composer à l’avenir le ministère de la République, doivent s’être interrogés et rester convaincus qu’ils veulent servir la République de la même manière. Dans les circonstances présentes, si j’avais à entrer au ministère, j’aurais avant tout à savoir quel doit être l’avenir de l’armée dont on me confierait le commandement.

Comme soldat, je serai toujours prêt à verser mon sang pour la République, de quelque manière et en quelque temps qu’elle l’exige.

Comme homme politique, si j’étais condamné à le devenir, je ne sacrifierais jamais mes convictions de soldat déjà avancé dans sa carrière : la République a besoin de son armée. Loin de mon pays, j’ignore aujourd’hui ce qu’est l’armée, où elle est ; mais ce que je sais, c’est que si malheureusement elle était profondément atteinte dans ses conditions d’existence, il faudrait la réorganiser ; si elle était inquiète, il faudrait la rassurer ; si sa tête était inclinée, il faudrait la relever ! Voilà mes convictions.

Comme homme politique, je sais quels sont les hommes avec qui je voudrais seulement marcher ; mais ceux-là mêmes, s’ils veulent atteindre l’armée, s’ils ne veulent lui rendre, ce qui seul la fera vivre, le sentiment de sa dignité, de son rôle dans tout pays vivant entouré de nations armées elles-mêmes, ceux-là mêmes, je le déclare, ne me compteront pas dans leurs rangs.

Ainsi, pour être ministre, j’ai besoin de connaître la pensée, la volonté de la République ; j’ai besoin d’être certain que je n’aurai pas à mutiler l’armée que je connais depuis bientôt trente ans, de la même main qui a soutenu avec elle la même épée.

Rien ne coûte à dire quand on n’a rien à cacher. Je n’éprouve donc point d’embarras à parler nettement ; je ne puis donc être ministre tant que la pensée de la nation ne se sera point fait connaître.

Et, d’ailleurs, au moment où l’Assemblée nationale va se réunir,