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DOCUMENTS HISTORIQUES.

J’avais la certitude que la parole française est une parole solide, fût-elle donnée même par un simple soldat, et qu’il était impossible de la violer.

Aujourd’hui, les choses ne sont plus les mêmes pour moi, et cette conviction s’est évanouie en moi : je vous demande et vous supplie de me rendre justice, en rendant plus vaste ce qui est restreint pour moi, et en transformant ma tristesse en joie et bonheur.

Vous avez aujourd’hui opéré et fait une œuvre grande et qui réjouit tout le monde. Si vous réjouissez tout le monde et que vous me laissiez dans l’affliction, je vous en demanderai compte devant le Tout-Puissant !

Vous êtes des Ulémas (savants) et savez bien ce qui nous convient.

Nous ne pouvons pas vivre dans un pays dont les vêtements, le langage, la nourriture et tout, en général, différent entièrement des nôtres.

Je me disais toujours que, quand bien même je serais pris par les Français par la force, je n’aurais que du bien à recevoir chez eux, parce que ce sont des hommes de cœur et d’honneur, et qu’ils savent rendre mérite au vainqueur aussi bien qu’au vaincu.

Je n’ai point été pris les armes à la main ; je suis venu aux Français volontairement et parce que je l’ai bien voulu : si j’avais pensé trouver chez eux quelque chose qui pût me déplaire, je ne serais point venu à eux.

Je crains que quelques-uns de vous puissent dire qu’en retournant aux choses de ce monde et en revenant en Algérie, j’y ferai renaître des troubles ; c’est une chose impossible, et qui ne pourra jamais arriver : n’ayez aucun doute sur moi à cet égard, pas plus que vous n’en auriez en pareille circonstance de la part d’un individu qui est mort, car je me place au nombre des morts : mon seul désir est de me rendre à la Mecque et à Médine pour y étudier et adorer Dieu jusqu’à mon dernier jour.

Salut.

Dé la part de Abd-el-Kader ben Mehheddin, infortuné dans le pays des Français.

En date du 9 Rebïa sani 1264 (15 mars 1848).


IX


Lettre du général Cavaignac.


Alger, 27 mars 1848.

Monsieur le président,

Je trouve insérée, au Moniteur officiel de la République, ma nomination au ministère de la guerre. J’ai à regretter que le gouverne-