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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

On ne voit pas que la convocation du peuple en une pareille circonstance, le mode et le but de cette convocation, quel qu’en doive être le résultat politique immédiat, marquent avec une précision rigoureuse la fin de l’ancien état social établi sur la division des pouvoirs et le balancement des droits historiques, et qu’ils fondent l’état nouveau sur le principe opposé d’un droit unique et indivisible : la souveraineté du peuple.

Mais bientôt l’instinct des masses et le nom de l’homme qu’il choisit avec un prodigieux accord pour lui déléguer la souveraineté viennent révéler aux esprits attentifs la profondeur et l’étendue de cette révolution qui passe inaperçue du vulgaire. Rejetant le nom de Cavaignac et même celui de Ledru-Rollin, qui tous deux représentent à des degrés différents la lutte politique et sous lesquels il sent encore une certaine individualité dont il se méfie, le peuple des campagnes, que l’on voit pour la première fois apporter à l’exercice de son droit un intérêt vif, parce qu’il va créer dans l’État une force véritablement souveraine, donne à cette force un nom qui ne représente pour lui aucun parti, mais qui signifie victoire : victoire de l’égalité sur le privilége, victoire de la démocratie sur les rois et les nobles, victoire de la Révolution française sur les dynasties européennes.

C’est là ce que, dans l’esprit du peuple, expriment de la manière la plus absolue le règne et le nom de l’empereur Napoléon ; c’est là ce qu’il veut et croit faire revivre par l’élection de Louis Bonaparte.

Les masses populaires, encore incultes, à demi barbares et pour ainsi dire inorganisées (le mot même de masse l’indique suffisamment), sont, comme les sociétés primitives, uniquement inspirées et conduites par le sentiment et l’imagination. Incapables de concevoir des idées abstraites ni d’embrasser l’ensemble, le rapport et la succession des choses, elles personnifient dans un même nom, elles concentrent dans un même moment l’action des forces multi-