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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

L’opinion, ainsi travaillée sans relâche, s’altérait ; elle se retirait de celui qu’elle avait d’abord si fortement soutenu et se tournait insensiblement contre lui. L’Assemblée elle-même n’appuyait plus le général Cavaignac qu’avec une certaine mollesse ; l’inertie du gouvernement attiédissait son zèle et paralysait son action. Depuis quelque temps la majorité, qui ne se sentait pas conduite, hésitait, se troublait. Subissant malgré elle l’influence d’une minorité habile qui, à l’approche du jour décisif de l’élection présidentielle, mettait tout en œuvre pour achever d’éteindre ou d’égarer l’esprit républicain, elle n’apportait plus au gouvernement qu’un concours presque inefficace, tant il semblait de convenance plus que de conviction politique. Quelques amis particuliers du général Cavaignac, voyant se multiplier les symptômes de ce refroidissement de l’Assemblée, insistaient avec beaucoup de vivacité auprès de lui pour qu’il cédât au mouvement de l’opinion en éloignant de son conseil les républicains que l’on appelait encore de la veille, et en y appelant des représentants du côté droit. Le chef du pouvoir exécutif écoutait ces avis avec défiance. Il éprouvait une répugnance presque invincible à se séparer du parti républicain proprement dit et ne voulait pas acheter son élection au prix de ce qu’il regardait comme une trahison envers ses anciens amis politiques. Son antipathie instinctive pour M. Thiers n’avait fait que s’accroître dans leurs relations parlementaires. Il ne croyait pas à la sincérité des avances que M. Molé continuait à lui faire. Quand le général Lamoricière lui proposait d’appeler à lui M. Dufaure, qui, dans la discussion de la constitution, avait pris de l’autorité sur l’Assemblée et qui se ralliait loyalement à la cause républicaine, le général Cavaignac repoussait la pensée d’une telle concession. Il marquait, comme terme extrême des sacrifices que son honneur lui permettait de faire, le choix d’un ministère dans une petite fraction de l’Assemblée que l’on considérait comme à demi révolutionnaire et dont M. Billault était l’expression la plus