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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

qui souhaitait, méditait et préparait savamment la ruine de la société.

Mais, après la victoire de juin, les esprits s’étant un peu rassis, on commença dans l’Assemblée à s’étonner de l’importance que l’on y accordait à M. Proudhon et à son silence ; on pensa qu’il serait bon de la réduire à ses proportions véritables, en mettant cet adversaire audacieux de la propriété en demeure de produire enfin au grand jour ses théories sociales et surtout les moyens qu’il proposait pour les réaliser.

Pressé de toutes parts, non-seulement par ses collègues, mais par l’opinion publique, M. Proudhon consentit à déposer sur le bureau de l’Assemblée une proposition tendant, suivant ses propres expressions, à réaliser sans violence, sans expropriation, sans banqueroute, ce qu’il appelait la liquidation de la vieille société, c’est-à-dire l’abolition de la propriété, « Orgueil ou vertige, a dit plus tard M. Proudhon, je crus que mon heure était venue. »

M. Thiers, qui nourrissait en secret la même pensée, jugeant également et avec plus d’apparence de raison son heure venue, se chargea de combattre M. Proudhon dans le comité des finances d’abord, puis à la tribune.

La curiosité était excitée au plus haut point par l’annonce de ce débat. Beaucoup de gens considéraient encore comme une grande témérité à l’Assemblée de permettre la discussion publique des doctrines de M. Proudhon. Ce ne fut pas sans peine que M. Thiers obtint dans le comité du travail un peu de calme et qu’il parvint à dominer par son sang-froid les clameurs qui éclataient à chaque parole de son adversaire[1]. Quand M. Proudhon parut enfin à la tribune, le mouvement extraordinaire qui agita l’Assemblée fit voir combien elle avait besoin d’efforts pour garder quelque

  1. « Il ne faut pas, disait M. Thiers, que les Érostrates du temps puissent, s’en croire les Galilées, en disant qu’on a refusé de les entendre. »