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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

clergé, dont la politique alors était de tout accueillir, feignit de le croire sincère et le porta sur sa liste[1], M. Thiers entra à l’Assemblée.

Il y entra modestement, sans bruit, en homme désabusé, dont la carrière politique était terminée. Tout au plus, disait-il à des amis chargés de répéter ses paroles, pourrait-il encore mettre au service de l’Assemblée un peu de bon sens pratique ; ouvrir à l’occasion, dans quelque comité, un avis utile sur des questions spéciales. Puis il se rapprochait de tous les républicains qu’il voyait influents ; il les flattait et s’efforçait de leur persuader qu’il voulait comme eux et avec eux la République.

Introduit dans la réunion de la rue de Poitiers que présidait le général Baraguay-d’Hilliers et où se rencontraient encore des représentants de tous les partis, MM. Duvergier de Hauranne, Vivien, Dufaure, Degousée, d’Adelsward, de Montalembert, Falloux, Berryer, M. Thiers était devenu bientôt, par la souplesse et la grâce de son esprit, le lien de ces éléments hétérogènes. Contenant les uns, excitant les autres, donnant à tous l’exemple de l’oubli des torts passés, il sut les discipliner, les amener à une politique bien combinée qui consistait, d’une part, à soutenir en apparence la République, d’autre part, à défaire pièce à pièce tout ce qu’avait fait le gouvernement provisoire et à convaincre ainsi d’impuissance le parti républicain, pour, le jour venu, se substituer à lui sans effort et sans violence. On a vu que, fidèle à cette politique, M. Thiers s’était déclaré favorable au général Cavaignac. Mais déjà, à ce moment, il ne s’exprimait plus avec la même modestie ; son influence sensible dans l’Assemblée, son ascendant sur la réunion de la rue de Poitiers, lui rendaient impossible l’humble rôle qu’il avait pris d’abord ; il commençait à s’en-

  1. « Je ne suis pas obligé de me mettre à la place de Dieu et de sonder les consciences, disait l’abbé Fayet, évêque d’Orléans, représentant du peuple ; mais apparemment, visiblement, M. Thiers est tout à fait revenu à nous. »