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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

presque unanimité des voix, ce funeste décret de transportation, dont le caractère illégal et inhumain contraste si fortement avec la modération dont elle s’était montrée animée pendant longtemps qu’il deviendra impossible à comprendre le jour où la mémoire des contemporains ne se rappellera plus avec la même vivacité et ne se retracera plus avec une entière exactitude ce vertige de la peur auquel, à cette heure, les esprits les plus fermes et les âmes les plus nobles s’abandonnaient sans réserve et sans honte[1].

Le projet de décret, présenté, le 27, par M. Senard, et qui portait que : « Tout individu pris les armes à la main serait immédiatement déporté dans les possessions françaises d’outre-mer, autres que l’Algérie, » avait été soumis à l’examen d’une commission. Pendant qu’elle préparait son rapport, le général Cavaignac, en vertu des pouvoirs que lui donnait l’état de siége, ordonnait de son côté aux capitaines rapporteurs des commissions militaires de traduire les prévenus devant les conseils de guerre. Entre ces deux mesures contradictoires, le rapporteur de la commission, M. Méaulle, proposa une transaction qui fut adoptée. Il reconnut qu’une mesure exceptionnelle pour enlever à la capitale tous les ferments de discorde était nécessaire ; que, dans l’impossibilité de juger suivant les formes ordinaires, on devait procéder sommairement et administrativement,

    pour jouir du droit de parler. Nous ne sommes pas assez riches.— Silence au pauvre ! »

  1. MM. Caussidière, Sarrans et Pierre Leroux protestèrent seuls à la tribune, le 27 juin, contre le décret de transportation. M. Pierre Leroux obtint que les femmes et les enfants des transportés seraient autorisés à les suivre en exil. M. de Lamennais dit alors dans le Peuple constituant ces belles paroles (29 juin) : « Encore quelques mois, et vous n’aurez pas trop de bras pour défendre vos frères d’Italie et vos frontières de Belgique et d’Allemagne. Au lieu de déporter vos prisonniers, faites-en l’avant-garde de votre armée d’Italie. » Je trouve dans une note remise à la commission d’enquête par le chef de division de la sûreté générale, M. Panisse, une remarquable appréciation des causes de l’insurrection. Voir aux Documents historiques, à la fin du volume, no 20.