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HISTOIRE

mandait qu’à être dirigée, ne surent ou ne voulurent exercer sur elle aucune action ; Lamartine, parce qu’il la dédaignait un peu ; Cavaignac, parce qu’il la respectait trop. Tous deux se perdirent et perdirent la révolution ; l’un, parce qu’il la croyait accomplie déjà ; l’autre, parce qu’il la jugeait impossible.

J’ai dit qu’au moment où le général Cavaignac prit en main la conduite des affaires, la société tout entière s’abandonnait à un sentiment de terreur rétrospective qui survécut longtemps au danger qu’elle avait couru. Le combat acharné qu’on s’était livré pendant quatre jours laissait dans les imaginations une impression profonde que l’aspect de Paris ravivait à toute heure. La vaste étendue du champ de bataille dont chacun, pendant le combat, n’avait mesuré qu’un point circonscrit, étonnait la pensée. Sur un espace de plusieurs lieues et qui comprend plus de la moitié de la ville, le boulet, l’obus, la mitraille, le canon, la sape et la mine n’ont pas cessé, pendant près de cent heures, d’exercer leurs ravages. Les colonnades, les frontons des palais et des églises sont mutilés, des façades entières de maisons ont disparu. Des bivacs, des parcs d’artillerie, sont établis sur les places publiques ; on voit passer des chariots remplis d’armes enlevées aux vaincus[1]. De longs convois de prisonniers s’acheminent vers les forts ; les prisons sont encombrées ; les arrestations sont faites par masses. On assure que dans le premier moment il n’y en a pas eu moins de vingt-cinq mille. Bien des haines personnelles, bien des rivalités de professions ont saisi l’occasion inespérée de se satisfaire en paraissant servir la chose publique ; les délations anonymes sont innombrables. Les enfants de la garde mobile, qui se considèrent comme les vainqueurs de Paris et qu’on ne parvient pas à faire rentrer sous la discipline, plus de cent mille gardes nationaux, accourus de tous les points de la France et qui n’ont pas

  1. On a compté plus de cent mille fusils saisis dans les quartiers insurgés.