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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

bien que domptée au dedans, assez puissante au dehors pour que les souverains ne puissent susciter à la France aucun embarras : tel était l’ensemble des faits qui créaient au général Cavaignac une situation plus grande et plus forte, en apparence, que ne l’avait eue, depuis longtemps, aucun des hommes qui avaient possédé le pouvoir. Mais si la situation d’un homme lui est faite le plus souvent par des circonstances où il n’a que peu ou point de part, l’avantage qu’il tire de cette situation est toujours son œuvre personnelle.

Ce fut un malheur pour la France que le général Cavaignac ne joignît pas au sentiment du bien, du beau, du juste, qui était en lui et qui le plaçait au niveau des situations les plus élevées, cette pénétration de l’intelligence qui les comprend tout entières et cette spontanéité d’action qui les domine. Si son génie lui eût révélé la triple force qui s’attachait à son nom, à son épée, à sa situation, il eût accompli une phase décisive de la révolution française, en fondant, pour une longue période de temps, le gouvernement républicain. Mais, ainsi qu’ont pu le faire pressentir quelques traits esquissés précédemment, le général Cavaignac ne devait comprendre sa tâche et son rôle que d’une manière incomplète. Tout au contraire de M. de Lamartine, qui, pour s’être formé un idéal trop vaste de la révolution, négligea de pourvoir à l’établissement de la République, le général Cavaignac, s’embarrassant dans une application scrupuleuse, défiante et timide du gouvernement républicain, ferma son esprit aux inspirations hardies de la révolution. Ces deux hommes, semblables en courage et en noblesse d’âme, mais qui formaient par d’autres côtés de leur nature un contraste très-accusé, devaient avoir une même fin politique. Lamartine, à force de rêver la gloire, laissa échapper l’autorité ; Cavaignac, occupé à défendre son autorité et surtout à préserver son honneur, ne connut pas ces élans vers la gloire qui entraînent les hommes. L’un et l’autre, en présence d’une Assemblée qui ne de-