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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

l’anarchie par les républicains, aucune opposition sérieuse à la République n’était plus possible. L’élévation du général Cavaignac, comme l’État républicain lui-même qu’il venait de sauver et qu’il était chargé de raffermir, avait un caractère de nécessité qui, sans en diminuer l’éclat, en doublait la force et devant lequel tous les partis rentraient dans le silence. Jamais plus soudaine élévation ne s’était produite avec moins de part de la personne exaltée. Le général Cavaignac n’avait pas été libre de la vouloir ou de ne la pas vouloir ; la convoiter ou la repousser, lui eût été presque également impossible. Son absence prolongée de la France et la trempe de son caractère, en le rendant étranger aux partis qui se disputaient la conduite des affaires, étaient une cause principale, mais toute négative de sa fortune. Plus sa personne restait inconnue, mieux la double idée qui s’attachait à son nom républicain et à sa profession de soldat devait apparaître à l’heure où le besoin de contenir la révolution et l’impossibilité de fonder, en dehors de cette révolution même, une autorité capable de la dominer, éclataient à la fois de toutes parts et s’imposaient à la conscience publique.

C’est le propre des civilisations avancées qu’elles se soustraient davantage, dans leur marche plus compliquée et plus savante, aux influences personnelles, à ce qu’on pourrait appeler l’accident, le hasard. Les idées y engendrent plus manifestement les faits. Les événements semblent s’y ranger sous une loi supérieure que trouble de moins en moins l’action des volontés particulières. Par une contradiction qui n’est qu’apparente, plus la liberté humaine croît en puissance, plus aussi elle s’ordonne et se soumet à cette nécessité divine, à cette invisible souveraineté qui gouverne le monde. Aussi voyons-nous dans la suite des histoires qui transmettent d’une génération à l’autre les révolutions des empires, la tâche du narrateur s’amoindrir à mesure que s’étend celle du philosophe. Les aventures perdent leur vraisemblance, les faits