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HISTOIRE

dans un désastre épouvantable, vos femmes, vos enfants, vos concitoyens, et peut-être la République. »

Mais à ces exhortations, à ces prières d’un citoyen ému, d’un général victorieux, les délégués ne répondent que par le silence. Ils s’apprêtent à retourner dans le faubourg. Le général, en les suppliant une dernière fois de réfléchir à ce qu’ils vont faire, et pour leur donner le temps de porter ses paroles aux insurgés, accorde que la trêve, dont le terme approche, soit prolongée jusqu’à dix heures.

MM. Larabit, Raymond des Mesnars et les autres délégués repartent pour le faubourg vers six heures et demie. Ils s’arrêtent un moment auprès du général Perrot et lui font connaître les décisions du général en chef. Puis ils s’avancent seuls sur la place de la Bastille.

Le moment est solennel. Un silence profond règne de tous côtés. Tout ce peuple en armes reste immobile ; tous les yeux suivent les pas des délégués. Ils marchent lentement vers la barricade du faubourg ; ils y montent ; ils prononcent quelques paroles que les insurgés seuls entendent.

Aussitôt, une clameur immense s’élève dans l’air ; une sorte de mugissement sourd, plus sinistre que le bruit de la fusillade, gronde pendant quelques minutes, se prolonge d’une extrémité à l’autre du faubourg : « Mort à Cavaignac ! crient à la fois plus de six mille voix ; mort au bourreau du peuple ! »

Cette dernière imprécation d’un désespoir impuissant vient retomber et expirer dans un effrayant silence.

À ce moment, le général Perrot tire sa montre. Elle marque dix heures : « Messieurs, dit-il aux officiers qui l’entourent, il ne faut pas se montrer trop rigoureux ; accordons encore dix minutes de grâce. »

Les dix minutes s’écoulent. Personne ne paraît sur la place. On s’agite derrière la barricade. Le général Perrot donne le signal. Au même moment, on entend le premier coup de canon du général Lamoricière qui a repris, dès la veille, toutes les barricades du boulevard extérieur et qui