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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

Cependant, le docteur Cayol insistant pour que le prélat soit ramené chez lui, les ouvriers préparent eux-mêmes un brancard. Ils le garnissent avec du linge blanc ; ils font un dais pour abriter la tête du blessé. Six d’entre eux réclament l’honneur de le porter ; six autres marchent auprès, pour relayer, au besoin, les premiers. Six soldats du 28e de ligne, autant de voltigeurs et de gardes mobiles font à l’archevêque de Paris une escorte militaire. Le peuple se prosterne sur son passage. À l’aspect du martyr chrétien, les sanglots, les gémissements éclatent partout ; toute colère s’apaise ; le regret, le repentir, le remords, s’emparent des âmes ; les fureurs de la guerre civile s’éteignent dans une désolation profonde.

On arrive ainsi au palais épiscopal où l’agonie allait bientôt commencer. À quatre heures et demie de l’après-midi, l’archevêque rendit le dernier soupir.

Sa fin parut exempte de souffrances. « Faites, ô mon Dieu, que mon sang soit, le dernier versé ! » Ce furent ses paroles suprêmes. L’histoire les recueille avec respect. L’Église de France en reçoit une gloire nouvelle. La chrétienté a droit de s’en enorgueillir, et jamais la piété humaine ne s’attendrira sur rien de plus sublime.

Mais, hélas ! les prières du bon pasteur ne devaient point être exaucées. Pendant son agonie, les combattants ressaisissaient leurs armes ; l’artillerie foudroyait le faubourg ; le boulet, l’obus et la mitraille dévastaient les maisons. À travers des tourbillons de flamme et de fumée, la mort frappait encore des coups terribles.

Le faubourg Saint-Antoine, entré tardivement dans l’insurrection, y avait apporté le caractère de persévérance et de détermination particulier à sa population laborieuse. Cette population, composée d’ouvriers de mœurs probes[1], satisfaits de peu, très-chargés d’enfants, pas enthousiastes, nullement gagnés aux idées socialistes, mais attachés à la

  1. Parmi ces ouvriers, on compte environ dix-huit mille ébénistes dont beaucoup sont d’origine allemande.