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HISTOIRE

il paraît reposer ; entr’ouvrant ensuite les yeux, comme il voit son serviteur couché à terre, auprès de lui, il s’informe de sa blessure, avec l’accent de la plus tendre compassion.

Quant à lui, après l’engourdissement des premiers moments, il ressentait des douleurs aiguës. La balle avait pénétré très-avant et restait dans les chairs ; la moelle épinière était lésée ; il n’y avait aucune chance de salut. Des cris involontaires, des mouvements convulsifs, échappaient de temps en temps au martyr. Il le regrettait, il s’en accusait ; il priait les assistants de lui pardonner une faiblesse qu’il trouvait indigne d’un chrétien. Bientôt, il se rendit assez maître de lui pour étouffer toute plainte, et quand, sur ses instances, le vicaire Jaquemet, qu’il avait fait chercher, lui eut déclaré que sa blessure était mortelle : « Ma vie est peu de chose ; » répéta-t-il, avec une sérénité parfaite, ainsi qu’il l’avait fait en quittant le général Cavaignac. Pendant les courts instants de répit que les ressources de l’art apportaient à ses souffrances : « Pauvres ouvriers ! disait-il à ceux qui l’entouraient ; allez leur parler de ma part ; dites-leur que je les conjure de cesser une lutte impie. Assurément le gouvernement ne les abandonnera pas. » Et comme, à sa demande, on s’apprêtait à lui donner le viatique : « Parce, Domine, murmurait-il à voix basse, parce populo tuo. »

À quatre heures du matin seulement, son médecin, le docteur Cayol, arriva au presbytère, conduit par les insurgés. Il voulait que le prélat fût immédiatement transporté à l’archevêché, afin que ses derniers moments fussent adoucis par plus de soins. Les hommes du peuple, qui gardaient la chambre du blessé, priaient qu’on le laissât parmi eux. « Qu’il ne nous quitte pas, disaient-ils avec une naïveté incroyable, qu’il reste avec nous ; il nous portera bonheur ; nous répondons de lui ; nous le veillerons ; nous nous ferons tuer tous, plutôt que de souffrir qu’il lui soit fait aucun mal. »