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HISTOIRE

d’une entreprise qu’il juge aussi périlleuse qu’inutile ; mais l’approche du danger rend plus inébranlable la sainte obstination du prélat. À sa prière, on envoie annoncer aux insurgés une trêve d’une heure ; puis, le feu ayant cessé de part et d’autre, l’archevêque s’avance lentement, le crucifix à la main, vers le milieu de la place. Un garde national, nommé Albert, porte devant lui un rameau de buis, en signe de paix.

Le prélat veut défendre à son domestique, qui l’a suivi jusque-là, de venir plus loin, et celui-ci, aussi simple, aussi héroïque dans son dévouement que son maître, lui répond par ces seules paroles : « S’il y a danger pour moi, il y a danger pour vous ; je ne saurais vous quitter. — Eh bien ! allons, » dit l’archevêque avec l’accent d’un homme qui ne tourne plus ses pensées vers la vie : et il hâte le pas, comme poussé par une force intérieure. Son visage s’illumine d’un rayonnement surnaturel. Lui, si timide, si pusillanime, il s’approche sans trembler de la barricade ; il franchit, sans regarder en arrière, l’étroite issue qu’on y a ménagée ; il entre résolûment dans le faubourg. Quand il se retourne, il se voit seul avec le brave Albert qui se tient à ses côtés et le serviteur obscur qui veut lui rester fidèle jusqu’à la mort.

L’agitation de la foule, au milieu de laquelle l’archevêque cherche à se faire place, est extrême ; les visages sont crispés de colère, les regards haineux et farouches ; ces hommes ruisselant de sueur, les mains et les vêtements noircis de poudre, les yeux enflammés, semblent dans le délire d’une fièvre ardente. On n’entend pas un ordre, pas une parole distincte dans ce tumulte, mais le bruit des fusils qu’on arme, le retentissement des crosses sur le pavé, les sourdes, les sinistres rumeurs d’une multitude hors d’elle-même.

Albert agite en l’air le rameau de paix. « Mes amis, écoutez-moi, » dit l’archevêque… Il ne parvient pas à se faire entendre. Un coup de feu a retenti. « Aux armes !