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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

habits pontificaux, suivi de ses grands vicaires, il s’achemina vers l’hôtel de la présidence.

En entendant sa requête, le général Cavaignac s’émut. Pénétré de respect pour une si grande résolution si simplement exprimée, il fit néanmoins tous ses efforts pour en détourner le saint prêtre. Il lui peignit l’état violent des esprits, l’échec de toutes les tentatives conciliatrices, la colère et la défiance avec lesquelles elles avaient été repoussées. Il lui apprit l’assassinat du général Bréa, la mort de plusieurs représentants. « D’autres, lui dit-il, qui sont allés dans les faubourgs, y sont retenus prisonniers, et l’on craint tout pour eux. »

L’archevêque reçoit sans se troubler ces avertissements sinistres ; il n’oppose aucun raisonnement aux paroles du général Cavaignac. « Ma vie est si peu de chose ! » Il n’a pas d’autre réponse, mais cette réponse porte avec elle la conviction, parce qu’elle émane d’une âme élevée désormais au-dessus de toute faiblesse et qui déjà n’appartient plus au monde que par l’espérance du martyre. Le général Cavaignac s’incline devant une pareille force de volonté ; il remet à l’archevêque, qui lui demande quel gage de clémence il peut porter aux insurgés, la proclamation qu’il a fait publier le matin.

Après ce court entretien, l’archevêque, dont les forces physiques sont épuisées par les fatigues et les émotions des jours précédents, rentre chez lui pour prendre quelque nourriture ; ensuite il se dirige vers la place de l’Arsenal, à travers des rues dévastées, où l’insurrection, à peine vaincue, a laissé des traces sanglantes. Il voit passer des civières sur lesquelles on porte des blessés, des mourants, des morts ; il s’arrête à chaque pas pour bénir et pour absoudre. Les soldats, les hommes du peuple ploient le genou ; les officiers le conjurent de ne pas aller plus loin ; rien ne saurait plus le retenir. Il demande au général Bertrand, qui commande l’attaque du faubourg, de suspendre le feu ; celui-ci redouble d’instances pour le détourner