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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

tard et de l’Arbalète, rue Pascal, rue de Lourcine, à la barrière d’Italie, ont été enlevées sans trop de difficultés par la garde mobile, qui a refoulé les insurgés jusqu’à la fabrique des Gobelins. Mais on n’a pu pousser plus loin faute de munitions, et, dans la nuit, les insurgés ont repris toutes leurs positions. Pendant la journée du 24, ils se sont défendus avec beaucoup d’énergie. La troupe n’a pu qu’à grand’peine reprendre les barricades dans un quartier où la population entière et les trois quarts de la garde nationale appartiennent à l’insurrection.

Quand la nuit descendit pour la seconde fois sur la ville ensanglantée et qu’une illumination sépulcrale éclaira les rues désertes, dont le silence n’était interrompu que par le cri lugubre et monotone du soldat en faction : « Sentinelle ! prenez garde à vous ! » ce ne furent plus seulement, comme la veille, la tristesse et l’angoisse qui serrèrent les cœurs ; un frisson d’horreur glaça les imaginations, hantées par des scènes de meurtres et d’épouvante, par des cris, des gémissements, des malédictions, en proie à toutes les hallucinations qu’enfante le délire de la vengeance. Le combat, en se prolongeant au delà des prévisions, en prenant des proportions inaccoutumées, loin d’amener la lassitude et le désir de la paix, s’était empreint d’un caractère d’acharnement presque étranger à nos mœurs. En plusieurs rencontres, sur plusieurs points disputés longuement, on l’avait vu dégénérer en férocité. Quelques régiments, familiarisés avec les représailles cruelles de la guerre d’Afrique, exaspérés en voyant tomber leurs officiers dont la valeur ne s’était jamais montrée si brillante, fusillèrent, dans un premier mouvement de rage, leurs prisonniers ; mais ce furent surtout les enfants de la garde mobile qui parurent avides de sang, emportés par « l’enthousiasme du carnage. » Cette horrible ivresse, que causent à tous les hommes, dans l’ardeur d’un premier combat, la vue du sang, l’odeur et la fumée de la poudre, a tourné en délire chez ces enfants des faubourgs, dont la misère et une débauche