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DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

stinct naturel et produit, dans l’occasion, des actes tout à fait extraordinaires. « La crainte de perdre, dit Machiavel, engendre les mêmes passions que le désir d’acquérir[1]. »

Les officiers de l’armée s’étonnent de voir des hommes déjà sur le retour de l’âge, étrangers à la guerre, ou tout au moins déshabitués des armes, se porter sans tactique, sans discipline et sans enthousiasme, il est vrai, mais de parti pris et délibérément sur des points si exposés que les plus intrépides soldats hésitent à s’y tenir.

Le feu était terrible à la barricade Poissonnière. On ne voyait pas les insurgés qui tiraient par les meurtrières du mur d’octroi et à l’angle des fenêtres. La garde nationale assez peu nombreuse, n’avait pas de canon. Vers trois heures seulement, un faible renfort de deux cents gardes républicains lui arrive ; une heure après, le général Lebreton, qui vient faire une reconnaissance, promet d’envoyer de l’artillerie, et l’on voit bientôt déboucher une petite colonne de six cents gardes nationaux qui amènent avec eux une pièce de huit, escortée par une vingtaine de cuirassiers. Le représentant Tréveneuc et M. Perrée, rédacteur en chef du Siècle, sont avec eux. Le combat recommence avec plus de vivacité, et l’on échange encore, pendant près d’une heure, des décharges à bout portant, sans le moindre résultat. Enfin la garde nationale de Rouen paraît de l’autre côté de la barrière ; sa jonction décide la victoire. La barricade Poissonnière et la place Lafayette sont déblayées ; les insurgés reculent et se retranchent derrière les constructions du clos Saint-Lazare.

Dans le faubourg Saint-Denis, où le colonel de Luzy d’abord, puis le général Korte, ont remplacé le général Lafontaine, les choses ne prennent pas une tournure plus décisive. Le général Korte n’a sous ses ordres que des détachements du 7e et du 9e bataillons de la garde mobile, du

  1. « La paura del perdere genera le medesime voglie che sono in quelli che desiderano acquistare. »
    (Machiavelli, Discorsi, lib. I, cap. v.)