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HISTOIRE

rues qui descendent au boulevard. Les constructions inachevées de l’hospice de la République leur servent de retranchement. Les immenses blocs de pierre de taille, épars sur le sol inégal, et les palissades en planches qui les entourent, protègent leurs tirailleurs. Ils sont barricadés dans l’octroi, dans les abattoirs, dans le prolongement de l’embarcadère du chemin de fer de Strasbourg. Il semble y avoir sur ce point tout un ensemble de dispositions stratégiques qui dénotent un commandement militaire. On dit, en effet, que les insurgés ont mis à leur tête des soldats remplaçants de l’armée d’Afrique, d’anciens sous-officiers de l’Empire, et que leurs mouvements bien combinés convergent, de ces hauteurs dont ils sont maîtres, vers le centre de Paris. Ménagers de leurs munitions, il leur est ordonné de viser principalement les officiers supérieurs de l’armée ; ils restent silencieux ; un seul mot court à voix basse dans leurs rangs : « À l’Hôtel de Ville ! à l’Hôtel de Ville ! »

Il n’est pas difficile à l’insurrection, avec de pareils avantages, de tenir tête à la troupe pendant toute cette journée et toute la journée suivante. La seule barricade du faubourg Poissonnière résiste aux assaillants, depuis deux heures de l’après-midi jusqu’à six heures du soir. La garde nationale de là 2e légion y essuie le feu, pendant très-longtemps, avec le courage singulier qu’inspire à des pères de famille, à des chefs d’industrie, à des hommes riches et considérables, la persuasion qu’il s’agit pour eux, dans cette guerre sociale, de risquer le tout pour le tout, et que, s’ils se laissent désarmer, s’ils sont vaincus, c’en est fait, non-seulement de leurs richesses actuelles qu’ils verront livrées au pillage, mais encore du droit héréditaire de leurs enfants à ces richesses. Assurément ce courage, un peu égoïste, est moins héroïque que le point d’honneur du soldat qui défend le territoire ; il est moins noble que le dévouement du sectaire ou du patriote à une cause religieuse ou politique ; mais il n’en surmonte pas moins l’in-