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HISTOIRE

en s’opposant partout à la construction des barricades, en les défaisant une à une, à mesure qu’elles s’élèveraient. « Les barricades sont contagieuses, disait M. Ledru-Rollin, que soutenait M. Arago ; c’est la tentation, c’est la passion héréditaire de la population parisienne. Dispersez les faiseurs de barricades, dès qu’ils se mettront à l’œuvre, sinon, en un clin d’œil, vous verrez les faubourgs transformés en forteresses ; vous verrez des remparts mouvants, abritant des soldats invisibles, s’avancer, presser vos troupes des extrémités vers le centre, les écraser sans qu’elles puissent même combattre ; vous serez perdus, anéantis. »

Ce n’était pas l’opinion du général Cavaignac. Le désarmement de quelques bataillons pendant les journées de février, vingt-huit mille hommes réduits à l’impuissance par une insurrection très-mal conduite, avaient fait une forte impression sur son esprit. On a vu qu’il n’avait accepté le portefeuille de la guerre qu’avec une certaine hésitation, en stipulant qu’il n’aurait pas à sacrifier à son nouveau rôle politique les convictions du soldat, et que le gouvernement rendrait à l’armée le sentiment de sa dignité[1]. L’honneur militaire était le sentiment dominant du général Cavaignac. Selon lui, l’armée avait été humiliée en 1830 et en 1848 ; il voulait à tout prix éviter qu’entre ses mains elle subît une disgrâce nouvelle. « Si une seule de mes compagnies était désarmée, disait-il, en discutant dans le conseil, avec MM. Garnier-Pagès, Arago, Ledru-Rollin, un système d’attaque qui nécessitait la dispersion des forces sur un grand espace, je me brûlerais la cervelle. » Il avait conçu et arrêté un plan tout contraire, auquel il ne voulait pas souffrir la moindre modification.

Concentrer les troupes, les masser autour de l’Assemblée, afin de mettre hors de toute atteinte, même en cas de défaite, la souveraineté nationale ; laisser la garde nationale défendre, comme il le disait un peu dédaigneusement, ses

  1. Voir, à la fin du volume, le no 9 des Documents historiques.