Page:Agoult - Histoire de la révolution de 1848, tome 2.djvu/373

Cette page a été validée par deux contributeurs.
369
DE LA RÉVOLUTION DE 1848.

aux oreilles de nos persécuteurs : Du travail ou du pain ! S’ils sont sourds à la voix du peuple, malheur à eux ! Vous avez promis trois mois de misère à la République, mais vous saurez vous venger de trois mois de trahison. En avant ! » Les ouvriers se forment en colonne, Pujol les conduit ; il descend avec eux la rue Saint-Jacques, traverse la Seine, parcourt le faubourg Saint-Antoine, recrute en chemin trois à quatre mille hommes, et revient à huit heures sur la place du Panthéon. Cette promenade, à laquelle beaucoup de femmes viennent se joindre, exalte encore les esprits. « Mes amis, dit Pujol, je déclare au nom des vrais républicains, que vous avez bien mérité de la patrie ; vous avez, en 1830 et en 1848, versé votre sang pour la conquête de vos droits, vous saurez les faire respecter. — Oui ! oui ! crient à la fois plus de dix mille voix. — Aux promesses, continue Pujol, vous avez accordé la confiance, aux erreurs le pardon ; mais, aujourd’hui, l’on nous trahit, et il faut que la trahison s’éteigne dans le sang de nos ennemis ; elle s’y éteindra, je vous le jure ! — Nous le jurons ! répond la foule. — À demain, à six heures, dit Pujol. » Les torches s’éteignent et tout rentre dans le silence.

Je me suis étendu à dessein sur ce premier ébranlement donné à la masse des ateliers nationaux. J’insiste sur ce point de départ de l’insurrection, parce qu’il en marque à mes yeux le véritable sens et qu’il en détermine le caractère. Les prolétaires, insurgés en juin, ne formaient pas, comme l’esprit de parti l’a osé dire, le rebut de l’espèce humaine ; ce n’étaient pas cent mille forcenés se ruant tout à coup, dans un accès de cupidité brutale, sur les riches pour les égorger ; nulle part non plus on n’a vu, que je sache, ces misérables aux gages des factions, signalés par une presse envenimée, et auxquels on payait, à raison de tant par heure, le salaire d’une besogne de meurtre, de viol et d’incendie. S’il en eût été ainsi, une telle bande de malfaiteurs, en la supposant plus nombreuse encore, n’aurait pas tenu un seul jour, à la clarté des cieux, contre l’art et la