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HISTOIRE

un arrêté qui invitait tous les ouvriers de dix-huit à vingt-cinq ans à s’enrôler immédiatement dans l’armée, ou bien à se tenir prêts à partir pour aller faire, dans les départements qui leur seraient désignés, des travaux de terrassements à la tâche. Le lendemain, 22, un premier convoi d’ouvriers partait pour la Sologne.

Cette mesure était dure à l’excès et d’autant plus insupportable qu’il était impossible d’y reconnaître autre chose qu’un expédient pour se débarrasser, à Paris, d’une force à laquelle on ne savait pas trouver d’emploi.

Cette espèce de recrutement arbitraire et superflu, dans un temps où l’on déclarait hautement ne vouloir pas la guerre ; ces travaux de terrassements assignés à des hommes appliqués jusque-là à des industries délicates ; cette première désignation d’un pays insalubre, ce n’était pas l’acte d’un gouvernement prévoyant, d’une République qui avait exalté au suprême degré, chez les prolétaires, le sentiment de l’honneur, l’orgueil individuel, le désir des grandes entreprises.

À la lecture de l’arrêt, l’indignation éclata dans les ateliers nationaux. Déjà, lorsqu’ils avaient vu le rapport de la commission confié à un homme dont les opinions royalistes leur étaient connues, les ouvriers étaient entrés en défiance ; maintenant, leurs soupçons semblaient confirmés.

Le soir même, plusieurs rassemblements se forment sur la place publique. « On veut nous envoyer mourir de la fièvre, se disent les ouvriers l’un à l’autre ; on veut, sous prétexte de défrichements dans un pays qui ne saurait rien produire, nous réduire à gagner 15 sous par jour ; on nous proscrit ; on a juré notre mort, la ruine de nos familles… Nous ne partirons pas. » Et, comme pour faire connaître cette résolution, ils parcourent les rues par bandes, en chantant la Marseillaise. Entre chaque strophe, quelques hommes en blouse crient : Vive Napoléon ! Dans la nuit, les délégués des ateliers et les délégués du Luxembourg se